Le 15 décembre 2021, la Cour de cassation a rendu un arrêt très important qui pourrait changer les usages devant le Conseil de prud’hommes concernant les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour comprendre son impact, nous devons revenir sur la manière de formuler une demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (I), avant d’évoquer la mise en place du barème Macron (II). L’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (III) interroge sur les éventuels changements à venir devant le conseil de prud’hommes (IV).
Il ne s’agira pas là de se positionner sur la possibilité ou non de solliciter une somme au titre des dommages et intérêts plus importante que le maximum prévu par le barème Macron.
I – La demande de dommages et intérêts pour licenciement injustifié : une somme exprimée généralement en « net »
En cas de licenciement injustifié, afin d’indemniser la perte d’emploi, il est d’usage de demander des dommages et intérêts exprimés en « net ».
À titre d’exemple, si nous souhaitons solliciter 10 mois de salaire, nous procédons à un calcul en brut (2.000€ brut * 10 mois) pour demander une somme en « net » (20.000 euros net).
Il appartient ensuite au défendeur, s’il est condamné, de régulariser en sus les montants à verser au titre de la CSG/CRDS ou même des cotisations sociales suivant la situation de chaque salarié.
Les juridictions prud’homales ont également pour habitude d’octroyer cette indemnité en « net ».
Cette pratique permet au demandeur de connaître exactement le montant qui lui sera attribué à titre des dommages et intérêts.
Avant l’instauration du barème macron, il n’existait pas de maximum aux montants pouvant être alloués par les juges à titre de dommages et intérêts.
Sauf certains cas particuliers, il existait uniquement un minimum correspondant à 6 mois de salaire dès lors que le salarié :
- Appartenait à une entreprise de plus de 10 salariés
- Avait une ancienneté supérieure à 2 ans
II – Le barème Macron : un minimum et un maximum prévu par la loi
Depuis l’arrivée des « barèmes Macron », l’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit un montant minimum et maximum dans l’octroi des dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié.
Ce barème est applicable à tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017. Le Cabinet met à disposition un outil gratuit afin de réaliser une simulation des indemnités en cas de licenciement injustifié selon le barème macron.
Dès sa mise en place, de nombreux juristes ont remis en cause l’applicabilité de ce barème.
Ce débat n’est toujours pas tranché et devrait donner lieu prochainement à un arrêt de la Cour de cassation.
Toutefois, un autre point, plus discret soulevait des interrogations.
Est-ce que les montants prévus par le barème Macron sont exprimés en mois de salaire brut ou en mois de salaire net ?
III – Le barème Macron : des montants exprimés en mois de salaire brut
Dans son arrêt du 15 décembre 2021 (n° 20-18.782), la Cour de cassation affirme que les montants minimaux et maximaux du barème sont « exprimés en mois de salaire brut »
Au regard de l’usage devant le Conseil de prud’hommes, cette décision peut avoir pour conséquence de réduire le plafond des dommages et intérêts en cas de licenciement injustifié.
En effet, jusqu’à aujourd’hui, nombre de décisions du Conseil de prud’hommes condamnent l’employeur à verser des dommages et intérêts en « net » en appliquant par exemple le calcul suivant :
- Ancienneté : + de 4 ans
- Barème : 5 mois maximum
- Salaire de référence : 2.000 euros brut
- Montant des dommages et intérêts : 10.000 euros net
C’est cette méthode de calcul que la Cour de cassation vient de condamner.
Autrement dit, si le juge prud’homal souhaite octroyer une indemnité en « net » au salarié, il devra s’assurer que celle-ci ne dépasse pas le montant brut prévu par le barème.
Cela peut rendre les calculs très complexes dès lors que l’on sait que les juges prud’homaux n’ont pas accès aux outils comptables et que le calcul de l’assujettissement de sommes n’est pas toujours évident.
Suivant la situation du salarié, les dommages et intérêts pourront être assujettis uniquement à CSG/CRDS (9,7%) ou à l’intégralité des cotisations sociales.
IV – Dommages et intérêts pour licenciement injustifié: modifications des usages à venir devant le Conseil de prud’hommes ?
Cette décision pourrait avoir un impact important devant les juridictions et dans nos pratiques judiciaires devant le Conseil de prud’hommes ou la chambre sociale de la Cour d’appel.
Constatons que cette décision de la Cour de cassation a pour effet de clarifier la situation et le régime juridique des dommages et intérêts pour licenciement injustifié.
Le premier constat est celui d’un plafonnement plus important que la pratique actuelle.
En considérant que le plafond est exprimé en mois de salaire brut, cela implique nécessairement une baisse des indemnités en « nette ».
Il ne serait donc plus possible de solliciter, comme dans l’exemple précédent, une indemnité de 10.000€ net pour une ancienneté de plus de 4 ans avec un salaire de référence à hauteur de 2.000€ brut. Il conviendrait, a minima, de déduire la CSG/CRDS à hauteur de 9,7%.
Dans certains cas, l’impact pourrait être plus important, car il s’agirait de déduire également les cotisations salariales.
À notre sens, il est fortement possible que les conseillers prud’homaux, pour éviter toute difficulté dans les calculs, prononcent dorénavant des condamnations à des dommages et intérêts « en brut ».
Si ce changement pouvait être souhaité par les entreprises afin de faciliter certains calculs, il n’en demeure pas moins qu’il sera plus difficile pour les salariés d’appréhender le montant exact des sommes qu’ils pourraient percevoir en cas de licenciement injustifié.
Nous devons maintenant rester vigilants aux prochains arrêts de la Cour de cassation qui pourraient, sous peu, se positionner sur la possibilité ou non pour le juge prud’homal d’octroyer une indemnité plus importante que celle prévue par le barème Macron.
En cas d’impossibilité de dépasser les montants prévus par le barème Macron, il est fortement possible que les usages devant les conseils de prud’hommes évoluent et que les condamnations soient dorénavant exprimées en « brut ».
Si tel devait devenir la norme, le régime des demandes de dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse suivrait celui des éléments de salaire (rappel de salaire, heures supplémentaires, indemnité compensatrice de préavis et de congés payés, indemnité de clause de non-concurrence, etc.).
La différence est que les éléments de salaire obéissent aux règles classiques d’assujettissement aux cotisations sociales alors qu’il existe de nombreuses dérogations en cas d’indemnité au titre de la rupture du contrat.