Un salarié est inapte à son poste lorsqu’il est en incapacité d’exercer tout ou partie de ses fonctions. Seul le médecin du travail peut rendre un avis d’inaptitude (I).
Cependant, rien n’empêche le salarié ou l’employeur de former un recours contre l’avis rendu ou directement à l’encontre du médecin du travail (II).
I – La déclaration d’inaptitude du salarié par le médecin du travail
À l’occasion d’une visite médicale organisée par l’employeur ou à la demande du salarié, le médecin du travail peut se prononcer sur l’(in)aptitude du salarié à son poste.
En pratique, les avis d’inaptitude sont rendus bien souvent dans le cadre d’une visite médicale de reprise suite à un arrêt de travail.
Rappelons que depuis le 1er janvier 2017, une seule visite suffit en principe au médecin du travail pour rendre un avis d’aptitude ou d’inaptitude, sauf s’il estime nécessaire une seconde visite médicale, qui doit alors se réaliser dans les 15 jours suivant la première visite[1].
En revanche, le médecin du travail ne peut déclarer un salarié inapte à son poste avant d’avoir[2] :
- Réalisé ou fait réaliser une étude de poste et des conditions de travail dans l’établissement, tout en indiquant la date à laquelle la fiche d’entreprise a été actualisée.
- Échangé avec le salarié et l’employeur
- Constaté qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible
- Constaté que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste
L’avis d’inaptitude est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur. L’employeur doit ainsi tout faire pour tenter de reclasser son salarié inapte[3], sauf dans deux cas[4].
En effet, l’employeur doit licencier le salarié inapte sans recherche de reclassement préalable lorsque le médecin du travail indique dans son avis d’inaptitude l’une des deux mentions suivantes :
« Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé »
« L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi »
Toutefois, l’avis rendu par le médecin du travail peut faire l’objet d’un recours, tant par le salarié que l’employeur.
II – Le recours du salarié ou de l’employeur en réaction à l’avis d’(in)aptitude du médecin du travail
Suite à un avis d’inaptitude considéré comme contestable par le salarié concerné ou l’employeur, plusieurs actions peuvent être réalisées :
- La contestation devant le Conseil de prud’hommes des « éléments de nature médicale » justifiant l’avis d’(in)aptitude rendu par le médecin du travail
- L’action en responsabilité civile à l’encontre du médecin du travail
- L’action disciplinaire à l’encontre du médecin du travail
A – Contester les éléments de nature médicale justifiant l’avis d’inaptitude
Le salarié ou l’employeur peut contester dans un délai de 15 jours devant le Conseil de prud’hommes « en la forme des référés » les « éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail »[5] .
Depuis le 1er janvier 2018, la saisine du Conseil de prud’hommes n’a plus pour objectif la désignation d’un médecin expert, mais il appartient dorénavant au Conseil de prud’hommes de rechercher si les éléments de nature médicale qui ont permis de rendre un avis d’(in)aptitude sont exacts.
À l’inverse de la Loi Travail, l’ordonnance Macron prévoit que ces décisions se substituent aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées, et non plus seulement aux éléments de nature médicale.
Pour prendre une décision éclairée, le Conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail. Si le Conseil de prud’hommes n’y est pas obligé, il apparait indispensable qu’il doive, a minima, prendre attache auprès d’un expert en médecine.
Lorsqu’une mesure d’instruction est prononcée, l’ordonnance précise que les frais afférents sont mis à la charge de la partie perdante, sauf décision motivée et contraire du Conseil de prud’hommes.
Soulignons le flou existant concernant la notion de contestation « d’éléments de nature médicale », en ce sens qu’il apparait complexe de délimiter le champ du recours contre l’avis d’inaptitude.
En revanche, ce recours ne sert qu’à contester les « éléments de nature médicale », le Conseil de prud’hommes n’est donc pas compétent lorsqu’il est fait grief à l’avis d’inaptitude pour un motif d’ordre non médical.
B – L’action en responsabilité civile à l’encontre du médecin du travail
Lorsque l’avis d’inaptitude est irrégulier, sans lien avec des éléments de nature médicale, l’employeur n’a aucun recours devant le Conseil de prud’hommes à l’encontre du médecin du travail.
Dans ce cas, l’employeur peut décider d’agir contre le médecin du travail afin d’engager sa responsabilité civile.
Ainsi et par exemple, si le médecin du travail commet une faute qui est, au moins en partie, à l’origine du caractère illicite du licenciement d’un salarié, il appartiendra à l’employeur d’engager une action en responsabilité civile à son encontre[6].
Tel est encore le cas lorsque le service de santé ne réalise pas les visites médicales obligatoires demandées par l’employeur[7].
À mon sens, le salarié pourra également engager une action similaire dès lors qu’il peut justifier de son préjudice.
C – L’action disciplinaire à l’encontre du médecin du travail
En cas de manquement à ses obligations déontologiques, tant le salarié[8] que l’employeur pourront déposer plainte contre le médecin du travail devant le Conseil de l’ordre des médecins.
Le Conseil d’État[9] précise toutefois que l’employeur doit démontrer qu’il a été lésé de manière suffisamment directe et certaine par un manquement du médecin du travail à ses obligations déontologique ; le manquement doit être apprécié, par le juge disciplinaire, en considération des conditions dans lesquelles le médecin du travail exerce ses missions et ses prérogatives.
L’encadrement de ces recours par le Conseil d’État se comprend notamment parce que la menace d’une sanction disciplinaire ne doit pas être un obstacle à l’indépendance du médecin du travail et à l’exercice de ses missions.
Par exemple, cette action peut être légitimement mise en œuvre en cas de délivrance par le médecin du travail d’un certificat de complaisance[10], tel qu’un avis d’inaptitude, à un salarié. La menace du suicide par le salarié ne justifie pas un tel comportement du médecin du travail[11].
En effet, la Chambre disciplinaire nationale a relevé, par une appréciation souveraine, que le médecin du travail avait établi les certificats d’inaptitude sur les « seuls dires de la salariée, sans analyse précise du poste de travail ni échange préalable avec les familles qui l’employaient ».
Plus généralement, le médecin du travail qui reprend à son compte dans un certificat médical, des faits relatés par un salarié sans les vérifier, manque à ses obligations déontologiques[12].
Rappelons que le médecin du travail doit se contenter, dans l’établissement d’un certificat médical, de faire état de constatations médicales qu’il a effectuées. S’il peut toutefois rapporter les propos d’un patient, il ne peut en aucun se les approprier, surtout lorsqu’il n’a pas été en mesure d’en vérifier la véracité[13].
Moralité : si seul le médecin du travail est compétent pour déclarer un salarié inapte, il n’en reste pas moins que l’employeur ou le salarié ont divers outils à leur disposition pour contester l’avis d’inaptitude ou former un recours contre son auteur. Toutefois, force est de reconnaître qu’en la matière existe une forte insécurité juridique, mêlée à un choix complexe concernant les procédures à mettre en œuvre.
[1] Art. R. 4624-42 du code du travail
[2] Art. L. 4624-4 du code du travail
[3] Art. L. 1226-2 et L. 1226-10 du code du travail
[4] Art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12
[5] Art. L. 4624-7 du code du travail
[6] Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-25.242 ; Soc., 31 mai 2012, n° 11-10.958
[7] Cass. 1re civ., 19 déc. 2013, n° 12-25.056
[8] Art. R. 4126-1 du code de la santé publique
[9] CE, 11 oct. 2017, Association Santé et Médecin du Travail SMT et autres
[10] Art. R. 4127-28 du code du travail
[11] CE, 10 fév. 2016, n° 384299
[12] Chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, 26 sept. 2016, n° 12218