Un salarié qui souhaite partir de son entreprise, sans démissionner et sans possibilité de réaliser une rupture conventionnelle, peut saisir le Conseil de prud’hommes pour faire juger la rupture du contrat.
Il existe deux procédures distinctes :
- La résiliation judiciaire du contrat de travail : le salarié reste au sein de l’entreprise pendant la procédure ;
- La prise d’acte de la rupture du contrat de travail : le salarié quitte l’entreprise, en général sans préavis, avant même le lancement de la procédure.
Cette dernière solution est la plus risquée pour le salarié. Il prend le risque que le juge prud’homal considère que sa prise d’acte n’est pas justifiée. Celle-ci serait donc requalifiée en démission.
Elle doit être envisagée uniquement lorsqu’il n’existe aucune autre possibilité de trouver une issue à la situation vécue par le salarié au sein de son entreprise.
Concrètement, la prise d’acte est le fait, pour le salarié, d’annoncer à son employeur qu’il quitte l’entreprise en prenant acte de la rupture de son contrat. Le salarié fait grief à l’employeur de ne pas avoir respecté ses obligations contractuelles.
La prise d’acte emporte donc immédiatement rupture du contrat de travail, peu importe qu’elle soit justifiée ou non.
La procédure de prise d’acte implique, à notre sens, une réelle réflexion (1), une volonté claire de rompre le contrat (2), l’absence de préavis automatique (3) et la nécessité de saisir le Conseil de prud’hommes (4). Suivant la décision du juge prud’homal, la prise d’acte emporte des conséquences différentes : démission ou licenciement injustifié (5).
1) La réflexion nécessaire avant la réalisation d’une prise d’acte : une mise en demeure ?
La prise d’acte est une prise de risque importante pour le salarié. Comme nous le verrons, lorsque le Conseil de prud’hommes considère qu’elle n’est pas justifiée, cela emportera des conséquences d’une certaine gravité.
C’est la raison pour laquelle il est conseillé de mûrir cette réflexion et de se faire accompagner par un avocat qui pourra analyser sa situation et apporter de l’aide dans la prise de décision.
Une fois vérifié que le salarié est dans son bon droit et que les manquements de l’employeur sont suffisamment graves pour justifier la prise d’acte, il peut être important de réaliser un courrier de mise en demeure à l’attention de son employeur.
Précisons que s’il n’existe aucune obligation de transmettre une mise en demeure préalable à son employeur (Soc., 3 avr. 2019, n° 19-70.001), il est fortement conseillé, sauf certains cas, de réaliser un premier courrier avant de prendre acte.
De cette façon, l’employeur est mis en situation de prendre les mesures nécessaires pour apporter des solutions aux difficultés rencontrées par le salarié. Il est possible également d’engager avec l’employeur une négociation sur la rupture du contrat de travail pour trouver une issue amiable.
En l’absence de réponse satisfaisante, après avoir vérifié que le salarié est dans son bon droit, la procédure de prise d’acte a davantage de chances d’aboutir.
En effet, pour simplifier, la prise d’acte revient à reprocher à son employeur une « faute grave ». Il convient donc de s’assurer que le salarié ne prend pas une décision hâtive.
En cas d’hésitation sur la gravité des manquements, il est parfois plus opportun de saisir le Conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire du contrat de travail afin de limiter les risques.
2) La volonté claire du salarié de prendre acte de la rupture du contrat
Il n’existe aucun formalisme spécifique, il appartient au salarié de transmettre sa volonté claire de rompre le contrat à son employeur.
En pratique, il convient de réaliser un courrier. Afin de se ménager la preuve d’envoi, il est conseillé de procéder par un envoi par recommandé.
L’employeur doit, dès réception du courrier, remettre au salarié ses documents de fin de contrat (attestation pôle emploi, certificat de travail et solde de tout compte).
Il ne peut pas indiquer sur l’attestation pôle emploi que la rupture est due à une démission. Même s’il réfute les affirmations du salarié, il doit expressément indiquer le motif de prise d’acte sur la ligne « autre motif ».
En présence d’une clause de non-concurrence dans le contrat de travail, si l’employeur a la possibilité de renoncer à son application, il doit en informer le salarié dans un délai raisonnable (Soc., 13 juin 2007, n° 04-42.740).
3) L’absence de préavis automatique en cas de prise d’acte
Un salarié qui prend acte de la rupture du contrat de travail n’a pas normalement à réaliser un préavis.
La décision de quitter l’entreprise prend effet immédiatement.
Cependant, si le juge considère que la prise d’acte n’est pas justifiée, l’employeur est en droit de solliciter le versement d’une indemnité compensatrice de préavis à la charge du salarié.
C’est ainsi qu’il a déjà pu être jugé que le salarié pouvait prendre acte de la rupture du contrat de travail tout en proposant de réaliser tout de même un préavis.
Cette possibilité n’est pas incompatible avec la prise d’acte et permet en pratique d’éviter une éventuelle condamnation par le Conseil de prud’hommes si la prise d’acte est injustifiée.
La réalisation du préavis est censée être sans incidence sur l’appréciation de la gravité des manquements invoqués à l’appui de la prise d’acte (ex : Soc., 15 sept. 2015, n° 14-10.416).
Précisons d’ailleurs que si la prise d’acte est réalisée au cours d’un arrêt maladie qui se poursuit pendant la durée du préavis théorique, l’employeur ne pourra pas, quoi qu’il en soit, solliciter le versement d’une indemnité compensatrice (Soc., 24 nov. 2021, n° 20/13.502).
Dans ce cas de figure, il n’y a pas de réel intérêt pour le salarié qui reproche des manquements graves à son employeur de réaliser un préavis.
4) La saisine du Conseil de prud’hommes
Il est admis que la prise d’acte est justifiée dès lors qu’il est établi des « manquements suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail » (ex : Soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634 ; Soc., 2 avr. 2014, n° 13-11.187).
Derrière cette formulation très générale, il appartient au juge de vérifier si les manquements invoqués par le salarié sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail (ex : soc., 21 oct. 2014, n° 13-18.377).
En cas de prise d’acte, il existe une procédure accélérée permettant de porter l’affaire directement devant le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes, qui doit statuer « au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine » (Art. L. 1451-1 du Code du travail).
En pratique, une prise d’acte peut être jugée en quelques mois lorsqu’une affaire classique peut prendre entre un an et deux ans.
Pour avoir une idée concrète des manquements suffisamment graves, vous trouverez ci-dessous plusieurs exemples :
- L’absence de réaction à une situation de harcèlement moral (ex : Soc., 26 sept. 2012, n° 11-21.003 ; 8 juill. 2015, n° 14-13.324 ; Soc., 3 fév. 2010, n° 08-44.019)
- L’absence de fourniture de travail (ex : Soc., 7 mars 2012, n° 10-12.727)
- Le non-paiement du salaire (ex : Soc., 6 juill. 2004, n° 02-42.642)
- Le retard récurrent dans le paiement du salaire sur une période de cinq mois (Soc., 30 mai 2018, n° 16-28.127)
- Le non-paiement de primes prévues au contrat de travail du salarié représentant une part importante de sa rémunération (Soc., 15 sept. 2015, n° 14-10.416)
- Le non-paiement des heures supplémentaires (Soc., 9 fév. 2011, n° 09-40.402)
- La modification unilatérale de la rémunération du salarié (Soc., 18 janv. 2012, n° 10-23.332)
5 ) Les conséquences financières de la prise d’acte
En prenant acte de la rupture de son contrat de travail, le salarié prend des risques importants si le juge considère que la prise d’acte est injustifiée (a). Si elle est justifiée, le salarié est bien fondé à obtenir le paiement de plusieurs indemnités (b).
a) Les risques pour le salarié d’une prise d’acte injustifiée
Une prise d’acte injustifiée produit les effets d’une démission. Le salarié ne percevra aucune indemnité de rupture et ne pourra pas bénéficier des allocations pôle emploi.
Par ailleurs, sauf exception, il sera redevable de l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté (ex : Soc., 17 fév. 2004, n° 01-42.427 ; Soc., 23 janv. 2019, n° 17-19.393). L’employeur n’a pas à justifier d’un quelconque préjudice pour en obtenir le paiement (Soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208).
b) Les conséquences pour le salarié d’une prise d’acte justifiée
Tout d’abord, il faut rappeler que la prise d’acte, tant qu’elle n’est pas jugée justifiée par le juge, ne permet pas au salarié, sauf exception, de pouvoir bénéficier des allocations chômage pendant la procédure.
Une prise d’acte justifiée produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul (ex : situation de harcèlement moral).
Le salarié est en droit de solliciter :
- Une indemnité compensatrice de préavis
- Une indemnité de licenciement
- Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou licenciement nul
- la possibilité, si le salarié en remplit les conditions, de bénéficier des allocations chômages
Le Cabinet met à disposition le simulateur ADD AVOCAT qui permet de vérifier les montants dont le salarié peut bénéficier au titre de ces trois indemnités. Concernant le préavis et l’indemnité de licenciement, il convient de vérifier s’il n’existe pas des dispositions conventionnelles plus favorables.